Situé sur la place des Quinconces à Bordeaux. Il a été élevé entre 1894 et 1902 à la mémoire des députés Girondins victimes de l'insurrection du 2 juin 1793 :
Dès 1868, l'architecte Julien Guadet, petit-neveu du député girondin Élie Guadet, établit un projet de monument à la mémoire des
Girondins pour la place Dauphine :
Le projet ne sera pas réalisé.
Source : ÉTUDE DE CRITIQUE HISTORIQUE : LES TROIS GIRONDINES (MADAME ROLAND, CHARLOTTE DE CORDAY,
MADAME BOUQUEY) & LES GIRONDINS - M. ARMAND DUCOS - 1895 - Appendice - Page I - « Site 1886 - Collections de l’Université Michel
de Montaigne Bordeaux3 »
Historique — L'origine de ce Monument remonte au concours, ouvert par la Ville de Bordeaux, en 1887-88, et dont les
premiers résultats, à titre de simple consultation avec primes et sous la condition formelle que l'exécution définitive pourrait
ne pas être confiée aux lauréats, firent classer en première ligne cinq projets, retenus pour une seconde épreuve, au nombre
desquels celui de
A cette seconde épreuve soumise aux mêmes conditions, le projet de Dumilâtre obtint le deuxième rang sur les trois
projets primés. Il avait d'ailleurs sur tous les autres un avantage spécial considérable, celui de pouvoir éventuellement
s'adapter très bien à la place des Quinconces, dans le cas, alors imprévu, où la Municipalité de Bordeaux renoncerait à sa
première pensée d'élever ce Monument sur les allées de Tourny.
Cependant, les primes payées et les obligations de la Ville envers les lauréats strictement remplies, les choses en restèrent là.
Vers la fin de 1891 (25 septembre), M. Armand Ducos (petit neuveu de Ducos et Fonfrède), qui avait déjà fait une conférence
publique sur les Girondins, à l'Alhambra de Bordeaux,fit naître dans l'esprit dela Municipalité un autre projet consistant à
remplacer le bassin vieillot et l'étique gerbe des Quinconces par quelque chose de plus artistement étoffe.
On songea alors à une fontaine monumentale. Sans nouveau concours public, sans prendre d'ailleurs aucun engagement, on fit appel
directement ou par relations à quelques artistes, entre autres, à Dumilâtre, qui, ayant déjà repris, sur le conseil de
quelques amis, son projet grandiose, le remaniait, le développait et y combinait admirablement et le Monument des Girondins,
première idée, et la Fontaine Monumentale, deuxième idée.
Dumilàtre proposa en mars 1893 son projet définitif. A une très grande majorité de l'Administration municipale, la nouvelle
oeuvre si attrayante, si harmonieuse dans sa complexité et si bien appropriée à la place des Quinconces, fut favorablement
accueillie et adoptée, sous réserve de quelques très légères modifications et du devis à produire.
C'est à ce moment et en vue de l'établissement de ce devis, que la nécessité d'un collaborateur architecte s'imposa. M. Dumilâtre
fit choix d'un ami, M. Rich.
Les plans et devis établis ainsi en collaboration, mais d'après la maquette personnelle de M. Dumilâtre (voir photo en bas de
page), le Conseil municipal de Bordeaux, dans sa séance du 14 novembre 1893, ratifiant le choix de l'Administration, vota,
conformément à ces plans et devis, l'exécution du Monument aux Girondins.
Description — Le Monument est donc établi sur un vaste soubassement rectangulaire, qui constitue sa base proprement dite
et sert de crypte; on y accède par quatorze marches en granit avec palier, dont l'un fait face à la rivière, l'autre, demi-
circulaire, au cours Tournon. A droite et à gauche de ce soubassement, deux importants bassins, dont l'un faisant face à la place
de la Comédie, représentera le triomphe de la République, l'autre, faisant face au cours du XXX-Juillet, celui de la Concorde et
de la Paix.
Dans le premier, la République, coiffée d'une couronne de lauriers, est assise comme sur un trône, vêtue d'un justaucorps de cuir ; l'épée
au côté, avec un manteau de pourpre semé du chiffre R. F. De la main droite elle tient un sceptre, comme emblème de la puissance
civile et militaire, de l'autre, une boule surmontée de trois figurines symbolisant Liberté, Egalité, Fraternité (ces figurines ont
été volées) ; à ses pieds, à gauche, le Travail, représenté par un forgeron qui jure fidélité d'une main et de l'autre s'appuie
sur un lourd marteau, de l'autre côté, à droite, la Sécurité, représentée par une femme étendue auprès d'un lion qui veille; un
enfant dort paisiblement à ses pieds.
A gauche de ce groupe central, trois bébés symbolisent la loi du service militaire obligatoire; à droite, trois autres chérubins
représentent l'Instruction Publique obligatoire.
Quatre vigoureux chevaux traînent le char qui poursuit sa course dans le monde.
Enfin, pour compléter cette composition, trois personnages, renversés dans l'attitude d'une chute précipitée, se débattent dans
l'abîme : ce sont l'Ignorance, le Vice, le Mensonge, symbolisant, par contraste, les bienfaits d'un régime qui condamne
l'obscurantisme pour faire place à la lumière éclatante du grand jour.
Le bassin de la Concorde se compose d'une statue mi-drapée, le torse nu comme la Vérité : elle étend un bras protecteur sur un
groupe d'hommes qui s'embrassent, c'est la Fraternité; à droite, l'Abondance répand à profusion les fruits de la terre.
Un peu en arrière, deux groupes de trois enfants représentent : le premier, le Commerce et l'Industrie, le second, les Beaux-Arts.
Enfin, un chérubin chevauche un poisson ; les Grâces l'entoure et forment une ronde. Ce sont les symboles du Bonheur et de la Vie,
conséquences de la Concorde et de la Paix.
Comme dans le bassin de la République, quatre chevaux marins traînent le char de la Concorde.
Quittons les bassins pour nous occuper de la base proprement dite, qui est rectangulaire et sert de support à la colonne. Cette
parlie très massive, en pierre de Gorgolonin, est flanquée de deux portes donnant accès à la crypte. Sur cette base repose la
partie plus délicate du piédestal qui précède le dé. Ici, la décoration se manifeste, assez abondante et variée, par divers
motifs allégoriques. En façade, du côté de la rivière, se dresse une tribune qui fut l'élément essentiel des Girondins; cette
tribune, ornée des symboles de l'Eloquence tribunitienne, est surmontée du Coq Gaulois.
Aux pieds de la tribune, deux statues assises représentent, à droite, l'Histoire, à gauphe, l'Eloquence. Sur la face opposée,
c'est-à-dire dans l'axe du cours Tournon, la Ville de Bordeaux, assise sur la proue de navire, tient de la main droite un sceptre,
comme emblème de sa puissance maritime et commerciale, et ses pieds touchent à une Corne d'abondance, d'où s'échappent les
richesses vinicoles de la contrée. Au-dessous et à demi-couchées, deux femmes représentent, l'une la Dordogne, l'autre la Garonne.
Vient ensuite le dé qui supporte directement le fût; il est décoré d'une guirlande de chêne et flanqué aux quatre angles de
bonnets phrygiens laurés. Sur les faces latérales, à gauche et à droite, les armes de la Ville; en façade et sur la partie
postérieure, des tablettes destinées aux inscriptions.
Le fût de la colonne fait immédiatement suite au dé, il se développe sur une hauteur de 33 mètres. Il est décoré, sur la façade,
d'une grande palme soutenue par une hampe, à laquelle trois écussons sont attachés, avec les dates 1789, 1792, 1793. De fortes
guirlandes de chêne et de lauriers retiennent, dans les parties latérales, des cartouches d'un caraclère Renaissance aux armes
vicomtales de la Ville.
Du côté opposé à la façade, sont gravés les noms de tous les Girondins; des couronnes et des étoiles limitent chaque groupe de noms.
Un chapiteau, mesurant quatre mètres sur chaque face, couronne le fût ; il est décoré d'un bouclier au chiffre de la République,
avec guirlande servant d'attache à la corbeille et reliant chacune de ses faces; derrière le bouclier, la hache des licteurs
surmontée de couronnes de chêne en guise de fleurons.
Enfin, la lanterne surmonte le chapiteau et ménage une sortie convenable sur la plateforme; elle sert en même temps de piédestal
et de lien entre le chapiteau et la statue de la Liberté.
Cette statue, mesurant du bout des pieds au sommet de la tête, 5m 60, est debout, les ailes déployées, coiffée d'un bonnet phrygien
lauré : elle dresse ses bras vers l'espace, dans une attitude triomphale; d'une main, elle tient des chaînes brisées, symbole de
délivrance et de liberté; de l'autre, des couronnes de gloire et de triomphe final.
Lettre de Dumilâtre, résumant son projet :
« J'ai d'abord évité, du moins dans sa manifestation extérieure, de donner à mon oeuvre un aspect funèbre; mais au contraire,
j'ai voulu affirmer le sentiment du triomphe et de la victoire; car, il s'agit bien d'une oeuvre de glorification.
Une colonne, couronnée d'une statue de la Liberté — les Girondins sont morts pour la fonder — l'emporta de suite dans ma pensée
sur toute autre combinaison.
Ce monument est essentiellement commémoratif. En le regardant, chacun doit le comprendre : la formule que j'ai choisie, une
colonne, m'a semblé devoir exprimer de suite l'idée du triomphe avec une note discrètement funèbre.
L'idée des bassins m'est venue en songeant à la population plutôt gaie, insoucieuse et aimable qu'on rencontre sur les promenades.
La gaieté à la base était indispensable; c'est d'abord là que le regard se porte. Il fallait motiver ces bassins : ce qui m'a
entraîné, à l'instar de Versailles, à faire figurer des personnages groupés et symbolisant le triomphe des idées pour lesquelles
mes héros sont morts, la République, la Paix et la Concorde. Ces bassins sont donc devenus par ce fait les corollaires
indispensables de la colonne. Ils la complètent esthétiquement parlant et font comprendre l'étendue de l'oeuvre des Girondins :
d'un côté le triomphe de la Concorde et de la Paix, de l'autre celui de la République.
L'idée générale trouvée, il ne s'agissait plus que de la formuler dans une oeuvre d'art ».
Les noms des Girondins ci-dessous sont gravés sur ce monument :
Les noms des « Girondins » suivants ne sont pas gravés sur ce monument. Il s'agit de Jean-Baptiste Salle -
Jérôme Pétion de Villeneuve - François Buzot - Charles Jean Marie Barbaroux.
Le projet intitulé Gloria victis « Gloire aux vaincus », remplace celui prévoyant d'orner la place des Quinconces
d'une fontaine monumentale pour la place des quinconces. Le conseil municipal de la ville de Bordeaux juge le prix de ce projet
trop élevé. C'est la ville de Lyon qui en fait l'acquisition, où elle est installée « Place des Terreaux ».
À la suite de l'échec des négociations avec Bartholdi, la ville de Bordeaux prend la décision de regrouper les deux projets : celui du
monument aux Girondins et celui de la fontaine, celui d'un monument-fontaine. Le projet de Dumilâtre et Rich est ainsi repris.
Réalisé entre 1893 et 1902, le Monument se trouve au centre de l'extrémité occidentale, de la place des Quinconces.
les deux groupes de statues représentant dix des principaux députés ne seront jamais réalisés. Dans le premier groupe devait figurer,
du côté du Grand-Théâtre : Vergniaud, Fonfrède et Ducos et ses deux inséparables amis, Lacaze et Condorcet. Dans le second, du côté
opposé, devait figurer : Guadet, Gensonné, Grangeneuve, Bergoeing et Pétion.
Il fallut pour mener à bien le chantier de la statuaire que Dumilâtre fasse appel à la collaboration des sculpteurs Félix Charpentier et
Gustave Debrie, ainsi qu'à celle de plusieurs fonderies : Denonvilliers à Sermaize dans la Marne, Leblanc-Barbedienne et également Durennes
Paris, enfin les Fonderies du Val d'Osne en Haute-Marne.
La fonderie Denonvilliers de Sermaize-sur-Saulx (Marne) : les quatre chevaux-reptiles et la Liberté.
Les Établissements Leblanc-Barbedienne de Paris : le premier groupe réalisé pour le bassin de la République, "Le mensonge, le vice et
l'ignorance".
Les Établissements Durenne de Sommevoire (Haute-Marne) : "Le triomphe de la République", les coquilles, les grenouilles, les roseaux et
les six enfants.
La fonderie du Val d'Osne (Haute-Marne) : le bassin du "triomphe de la Concorde", et les quatre chevaux-poissons, en 1897.
Enlevés durant la Seconde Guerre mondiale pour récupérer le métal, conformément à la loi du 11 octobre 1941 :
Extrait du Journal officiel du 11/10/1941
« Nous, Maréchal de France, Chef de l'état français, décrétons : il sera procédé à l'enlèvement des statues et monument en alliages
cuivreux sis dans les lieux publics et les locaux administratifs afin de remettre les métaux constituants dans le circuit de la
production industrielle ou agricole... ».
Tous ces éléments fûrent (heureusement oubliés). Ils ne retrouveront leur place initiale qu'en 1983.
Avant d'être réinstallé en 1983, le monument aux Girondins a longuement
été abandonné
près du pont d'Aquitaine
La saga du monument aux Girondins retracée dans nos colonnes à l'occasion de son classement comme monument historique (« Sud Ouest » du
5 novembre) a réveillé les souvenirs de Raphaël Navarra qui détient à leur sujet des images inédites. A la tête d'une entreprise de
démolition, le Bordelais avait en effet été appelé en septembre 1972 pour démolir une centrale thermique hors d'usage au pied du pont
d'Aquitaine, du côté de la rue Achard.
C'est contre ce bâtment désaffecté qu'étaient entreposés, en pièce détachée, le chevaux et les allégories. La demande émanait de la
DDE et il convenait de sortie les sculptures proprement. À l'époque, elles étaient pourtant bel et bien abandonnées au milieu de tout un
fatras, raconte le retraité.
La société Navarra a signé des chantiers de démolition plus spectaculaires partout dans le grand Sud-Ouest. Mais Raphaël Navarra se
souvient particulièrement de ces deux jours passés à soulever une à une les pièces du puzzle pour les déplacerde 30 mètres.
Chacun des huit chevaux pèse quatre tonnes au moins. Rien de rédhibitoire pour un bon Caterpillar toutefois. La difficulté consistait
plutôt à attraper les bêtes au lasso sans qu'elles ne ruent dans les brancards ! « On avait conçu des estropes en polypropylène de 50 mm
de diamètre. Du sur-mesure ! » précise Raphaël Navarra. Passionné d'architecture et de patrimoine, le Bordelais regrette de ne point
trouver traces du moment, quelques années auparavant, où l'entreprise, alors dirigée par son père Fernand avait vidé la fameuse centrale
thermique. « C'était en 1958, sans doute, en tout cas avant 1962. Or, si les chevaux avaient déjà été là à cette époque, je ne vois pas
comment mon père et ses ouvriers auraient pu procéder ! »
Délie Muller, qui reconstitua le puzzle géant, ne sait pas comment la fontaine a ainsi pu tomber en disgrâce au pied du pont d'Aquitaine.
« Je n'étais pas à Bordeaux à ce moment-là ! » sourit l'ancienne conservatrice du musée d'Aquitaine. Ce qui est certain, en revanche, c'est
que les bronzes ont bel et bien été abandonnés pendant des années. Je crois que le premier à en avoir parlé était Dormoy, l'ancien président
de la Chambre de commerce, au milieu des années 50. Mais ce n'est qu'en 1980 que le conseil municipal a décidé de leur retour ! »
c'est la qualité du bronze, précisément très IIIe République, qui a sauvé le monument : « Pour affirmer son ardeur républicaine, peut-être aussi
en raison du fameux orgueil bordelais, la ville avait choisi un bronze Keller, où la part de cuivre est importante. C'est ce qui se fait de
mieux, au point que peu de monuments en sont constitués en dehors de Paris ».
La solidité de l'alliage lui a permis de résister aux intempéries subies sous le pont d'Aquitaine et aux transports multiples, de
Bordeaux à Angers, d'Angers à Bordeaux, de Bacalan à l'ancienne galerie Tatry, cours du Médoc, où le monument allait être reconstitué à
l'identique. Jusqu'à la parade du retour définitif, en janvier 1983.
La commission à la récupération des métaux non ferreux avait payé l'ensemble de 52 tonnes à 30 francs le kilo de bronze. Le soin apporté
au descellement des statues laisse penser que les Allemands ne songeaient pas forcément les débiter en canons. Toujours est-il que les
34 personnages et animaux ont été retrouvés intacts à Angers en octobre 1944, avant un retour triomphal à Bordeaux en juillet 1945.
Les chevaux et les allégories ont failli finir au pied du pont d'Aquitaine, Jusqu'à ce qu'un ancien réfugié espagnol redécouvre en 1968
les bronzes échoués au milieu des hautes herbes. Il faudra la constitution d'une association, de longs combats et une campagne de presse
pour que Chaban Delmas, réélu en 1977, consente au retour des Girondins chez eux, après reconstitution du puzzle géant par le musée
d'Aquitaine et restauration à l'identique, pendant des mois et des mois, dans les hangars des quais. Pendant ce temps, aux Quinconces,
il n'y avait plus rien : « On avait détruit les socles en rocaille pour y mettre des massifs de sous-préfecture
», se souvient Michel
Suffran.
Janvier 1983 : la République et la Concorde reprennent enfin place de part et d'autre de la colonne, avec leur cortège d'enfants et d'hommes
représentant l'instruction publique, la fraternité ou… le mensonge, le vice et l'ignorance (ceux-là sont renversés dans les bassins, cela
va de soi !) et surtout leurs chevaux fièrement cabrés sous l'écume. Applaudissements de la foule, fanfares et discours triomphants.