Pont de pierre au matin - © ÉRIC BOULOUMIÉ - Photographe Architecture
Vue de Bordeaux prise de Floirac par le peintre Jean-Paul Alaux, en 1827 - (Crédit : reproduction Musée des beaux-arts de Bordeaux)
Le pont de pierre - Wikimedia commons
Pont de pierre - Inconnu
Pont de pierre - Inconnu
Le Pont de pierre
Le pont de pierre est un pont à voûtes en maçonnerie
Construit sur ordre de Napoléon Ier entre 1810 et 1822
C’est au commencement de 1824 qu’on résolut de hâter la construction d'un Pont, dont on négligeait les travaux et qui ne s’élevait
qu’avec une désolante lenteur. Depuis plus d’un siècle, on désirait unir, les deux rives de la Garonne; mais la
nature alluviale du sol, la rapidité du courant, la profondeur et la largeur de la rivière, mille circonstances, mille
considérations semblaient s’opposer à la réalisation du voeu des Bordelais.
Vers l’an 1775, l’intendant de la province s’occupait beaucoup de la construction d’un pont pour relier les deux rives de la
Garonne. On lui proposa plusieurs projets, entre autres celui d’établir des bateaux reliés les uns aux autres et fixés par des
piles en charpente. L’intendant Dupré de Saint-Maur avait adopté cette idée, émise et défendue par un sieur Chevalier, avocat
au Parlement; mais les directeurs du commerce de Guienne s’y opposèrent énergiquement, comme devant nuire au commerce, à
l’agriculture et à la grande navigation. Le corps de ville désirait établir un pont sur bateaux liés entre eux par des chaînes
et tenus aux extrémités par des ancres.
L’administration des ponts et chaussées insistait, en 1776, sur la construction d’un pont en pierre et prétendait le construire,
d’après les idées de M. Valframbert, ingénieur.
M. de Tourny y avait bien réfléchi; mais mal appuyé, presque jamais enc0uragé et souvent contrarié par les jurats et le Parlement,
il recula devant ce travail gigantesque que les circonstances d’alors paraissaient rendre impossible.
Un jour, on proposa au maréchal de Richelieu d’attacher son nom à la construction d’un pont sur la Garonne : « Vous aurez, lui
disait-on, la gloire d'en poser la première pierre. » - « J’aimerais mieux, répondit-il, en voir poser la
dernière. » Cependant quelque difficile que fût l’entreprise, elle ne parut point inexécutable. En 1772 , M. de Trudaine,
intendant général des finances, avait conçu le projet d’établir des ponts en pierre sur la Garonne et la Dordogne, et faciliter ainsi les
communications entre Bordeaux et Libourne. M. de Voglie, ingénieur, fut chargé d’en faire les études; mais son rapport grossissait les
difficultés de manière à les faire paraître insurmontables. On renonça au projet de M. de Trudaine.
Le Ragois de Saint-André, ingénieur en chef de Bordeaux, reçut l'ordre de visiter tous les ouvrages du même genre alors exécutés en
Angleterre, en Hollande, en France, et de consigner ses observations dans un rapport.
Saint-André jugea possible la construction d'un pont de pierre. D'après lui, ce pont aurait dû avoir dix-neuf arches
et une longueur de 376 toises (732 m. 80); à cette époque, la Garonne s'étendait davantage sur la rive droite, du côté de la
Bastide. Ce projet fut soumis à de Fargès, intendant de la Guyenne; la dépense évaluée par l'auteur à 10 millions effraya
l'administration et l'idée même du pont suscita les doléances de certains commerçants bordelais qui redoutaient, de ce chef, un
péril et une gêne pour la navigation.
Il n'en fut pas moins porté devant le Conseil des inspecteurs généraux des Ponts et Chaussées :
de Voglie, ingénieur expérimenté, fut chargé d'inspecter les lieux, et il revint persuadé qu'un pont de pierre sur la Garonne
rencontrerait des obstacles insurmontables. Cette opinion fut partagée par le célèbre Perronet, dont les avis faisaient
autorité, et qui déclara l'entreprise hasardeuse sans méconnaître, d'ailleurs, son utilité.
En 1782, M. Dupré de Saint-Maur songea encore à établir un pont devant Bordeaux; mais se voyant mal secondé, il abandonna son
projet dont les Bordelais ni les Jurats n’appréciaient pas les avantages.
L'état des finances de la ville lui interdisant d'assumer elle-même cette entreprise, l'intendant pensait bien que le seul moyen
de parvenir à un résultat était d'inviter les particuliers à soutenir cette oeuvre d'intérêt public. « Tant que le projet ne
sera pas étayé par une compagnie de millionnaires, déclarait-il dans une lettre à Bertin, ancien contrôleur général des Finances
et ministre d'Etat, il restera simplement dans la classe des belles chimères ! »
Necker, avec l'approbation du Conseil des Ponts et Chaussées, fut d'avis de renoncer au pont devant Bordeaux. D'après lui, il
aurait l'inconvénient de sectionner la rade sans dispenser de l'obligation, pour aller sur Paris, de traverser la Dordogne, au
moyen de bacs, en un point où cette rivière était fort large.
Le Directeur du Trésor proposait, en revanche, de placer le pont à Langon, où viendraient aboutir la route de Paris à Bordeaux
modifiée dans son trajet en la dirigeant par Périgueux, Bergerac et Langon ; celle de Bordeaux à Agen et Montauban, celle de
Bordeaux à Limoges et enfin celle de Bordeaux à Lyon par Clermont. Il ne s'agissait pour arriver à ce résultat que de rétablir
en route de poste l'ancienne voie par Périgueux, Bergerac et Langon, en abandonnant l'itinéraire alors suivi par Périgueux,
Libourne et Bordeaux.
Ce fut ensuite la Chambre de Commerce de Guyenne dont les Directeurs réclamèrent la construction d'un pont sur la Dordogne à Cubzac.
Napoléon 1er, à son passage, en 1808, contrarié de ne pouvoir se
rendre à Bordeaux avec son équipage, comprit la nécessité de placer un pont sur la Garonne. Son génie, qui savait triompher des obstacles et qui
trouvait que le mot impossible n’était pas français, ordonna, par son décret du 25 avril 1808, la construction .
M. Tannai, ingénieur ordinaire, fut chargé de faire le sondage du lit de la Garonne et de reconnaître le lieu le plus sûr et le plus
convenable pour asseoir les piles du pont. Après avoir sondé le terrain devant la place Royale et vis-à-vis la cale de la Manufacture, on
reconnut que le lieu le plus convenable était face à la porte Bourgogne, dont la Municipalité essaya de changer le nom en l’appelant
« l’Arc Napoléon ».
D’après les ordres de Napoléon, dont la volonté inflexible était alors la loi de la France, et selon le décret du 12 août 1807 il
devait être en bois, porté par deux culées en maçonnerie et par cinquante-deux palées en charpente; il devait avoir cinq cent trente mètres
de longueur, et une seule travée mobile devait ouvrir le passage aux embarcations mâtées; c’eût été assez pour les besoins de la guerre,
mais ce n’était pas assez pour le génie des arts. Le devis portait une dépense de deux millions de francs.
Deux projets furent préparés : l'un par le consul américain William Lee et l'autre par Didier, ingénieur en chef du département
de la Gironde.
Ce projet avait, aux yeux des ingénieurs, le grave inconvénient de n’être que quelque chose de provisoire. M. de Van villiers
succéda, en 1814, à M. Didret et ne demanda pas mieux que de faire quelque chose de définitif. M. Claude Deschamps, inspecteur
divisionnaire, adopta ses idées à cet égard et dans le but de modifier le projet originaire, présenta à M. Molé, directeur général
des ponts et chaussées, un nouveau plan, d’après lequel le tablier devait se reposer sur vingt massifs en pierre, comprenant dix-neuf
voûtes ou cintres en charpente. M. Molé adopta ce nouveau plan et l’année suivante, M. Gary, préfet, posa, la première pierre de la seconde
pile, le 6 décembre 1812. Mais l’impôt frappé sur la ville par le décret du 30 janvier 1842 fut détourné de sa destination et les travaux
ne furent continués que lentement; ils furent presque suspendus.
A la rentrée du roi, en 1814 , on ne voyait que les deux culées et six piles (trois de chaque côté de la rivière) élevées au
niveau des eaux basses. Louis XVIII ordonna l’achèvement de l’entreprise; elle marcha lentement encore à cause de l’état obéré
des finances. En 1815, Vauvilliers poussait à abandonner la construction de charpente pour la remplacer que les arches seraient
construites en fer avec piles et culées en maçonnerie. Il présenta, en ce sens, un devis et des plans, estimant les dépenses,
y compris les travaux déjà exécutés, à cinq millions et demi de Francs.
Au mois de décembre 1813, une crue extraordinaire de la Garonne emporta les fondations de cinq piles sur la rive droite, envasa
les ouvrages sur la rive gauche et encombra le fleuve de toutes sortes de débris. Malgré le zèle déployé par les ingénieurs, les
travaux accomplis à l'époque de la chute du gouvernement impérial se résumaient en la construction des deux culées, de cinq piles
sur la rive gauche de la de deux seulement sur la rive droite, du côté de la Bastide.
En 1816, lors du voyage à Bordeaux du comte Molé, directeur général des Ponts et Chaussées, plusieurs membres de la Chambre de
Commerce, s'associant aux craintes de beaucoup d'habitants, demandèrent l'enlèvement des piles déjà fondées dans la Garonne et
l'abandon définitif de tout projet de construction. Fort heureusement, Deschamps put profiter de la présence du duc d'Angoulême
dans la Gironde, à la même époque, pour lui faire visiter les travaux, le 2 janvier. Il lui démontra à quel point ces prétendus
dangers avaient été exagérés et combien les services que devait rendre le pont étaient évidents. Le prince se laissa aisément
persuader et quand il eut regagné Paris, il appuya, auprès du directeur général Molé, les réclamations de Deschamps et du préfet
de la Gironde en faveur du pont de Bordeaux.
M. Balguerie-Stuttenberg sollicita au mois de juin 1817, auprès de M. Lainé, enfant de Bordeaux , alors ministre de l’intérieur, la
création d’une compagnie d’actionnaires qui s’engagerait à achever le Pont, au moyen d’un capital de deux millions et demi,
réalisable par une émission de deux mille cinq cents actions, de mille francs chacune. M. Balguerie, pour rassurer le ministre
sur le résultat de l’entreprise, signa, en son nom personnel, l’engagement de fournir cette somme : il comptait sur le concours
de ses concitoyens, les négociants de Bordeaux. Le Gouvernement, par une loi du 12 avril 1818, accepta l’offre faite par MM.
Balguerie, Sarget et Cie.
Le ministre s’empressa de donner suite à cette affaire : les statuts et la soumission furent approuvés le 17 novembre 1817 et
grâce aux actionnaires, le pont de Bordeaux, qualifié de projet extravagant, allait bientôt après devenir une réalité.
Le comte de Tournon, devint, dès les premiers jours, un chaud défenseur du système préconisé par Balguerie-Stuttenberg et
employa toute son influence à le faire accepter par l'administration centrale.
A dater du 31 mars 1818 jusqu'au 31 décembre 1821, la Compagnie future devait verser une somme de 125.000 francs par trimestre,
tandis que le droit de péage sur le pont lui était concédé, spécialement et par privilège, pour l'indemniser du capital versé
et lui permettre de réaliser les recettes qu'elle escomptait.
La Compagnie devait entrer en jouissance de ce droit aussitôt que possible, dans le courant ou au plus tard à la fin de l'année
1822. (La date d'ouverture du péage fut ensuite avancée et fixée au 1er janvier 1822. Le gouvernement n'était tenu de terminer
le pont que pour le 31 décembre 1822, mais le passage pouvait être ouvert et le péage perçu avant que le pont ne fût entièrement
achevé).
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Comme les voûtes en charpente exigeraient des réparations continuelles, on décida, le 17 mars 1819, que le pont serait construit
tout entier en pierres de taille, entrelacées de briques fabriquées avec la vase de la Garonne. Cette proposition fut adoptée
par « M. Becquey »; mais il fut décidé qu’avant de commencer les arches, on soumettrait chaque pile à l’épreuve d’un
chargement de près de quatre millions de kilogrammes (soit le poids d'une vôute). L’épreuve réussit au-delà de toutes les
espérances.
Les travaux commencèrent le 1er octobre 1810 sous la direction des architectes, Claude Deschamps et de son gendre Jean-Baptiste Billaudel.
Billaudel s'occupa essentiellement de la fondation des piles et le 12 juillet 1820, il y appliqua, pour la première fois en
France, « la cloche à plonger » qui rendit de très grands services, après avoir été un objet de vive curiosité.
La cloche de plongée ou cloche à plongeur est un des premiers équipements qui a permis à l'Homme d'effectuer des travaux, des expériences ou des explorations sous l'eau avec un câble.
La première cloche à plongée aurait été utilisée durant l'Antiquité par Alexandre le Grand en 322 av. J.C. Baptisé
Colympha, l'engin était formé d'un grand tonneau de verre ouvert sur le bas. Grâce à cet ancêtre de la cloche à plonger,
il aurait exploré les fonds méditerranéens à environ 10 mètres de la surface.
En 1690, le physicien Edmond Halley invente la véritable « cloche à plongeur » permettant d'amener deux personnes à 50
pieds (18 mètres) de profondeur. Le système a permis d'effectuer de nombreux travaux en milieu subaquatique (digues,
piles de pont...) jusqu'à l'invention de scaphandres fiables.
Sur les indications de Deschamps, des carrières de pierre avaient été mises en exploitation, non seulement dans le département de
la Gironde, mais aussi dans la Charente-Inférieure et le Lot-et-Garonne. Plus de quatre cents ouvriers y étaient employés à
extraire les matériaux, tandis que six cents hommes environ travaillaient aux chantiers du pont et un nombre égal aux routes
devant y accéder.
La dernière pierre des arches fut posée par le préfet, le comte de Tournon, le 25 août 1821.
Le 29 septembre 1821, le pont de bois, dit « pont de service », fut livré au public et les promeneurs ne manquèrent pas de s'y
rendre en grand nombre, par attrait de la nouveauté et pour contempler l'édifice en pierre. Ce pont fut ouvert à la circulation
des piétons le 1er octobre, suivant les prescriptions de l'ordonnance du 8 août. Le 1er mai 1822, le pont fût livré à la circulation.
Ce pont est formé de dix-sept arches (pour correspondre aux dix-sept lettres de Napoléon Bonaparte).
Ses voûtes, qui sont construites en pierres de taille et en fortes briques, reposent sur seize piles et
sur deux culées en pierres. Les sept arches du milieu ont chacune un diamètre de vingt-six mètres et
quarante-neuf centimètres. Les autres sont de dimensions intermédiaires et insensiblement décroissantes.
Les voûtes ont la forme d'arcs de cercles , dont la flèche est égale au tiers
de la corde. Les piles, épaisses de quatre mètres vingt et un centimètres, s'élèvent à une hauteur égale au-dessus
des naissances, et sont couronnées d'un cordon et d'un chaperon. Elles se raccordent avec la douelle des voûtes,
au moyen d'une voussure qui donne plus de grâce et de légèreté à l'ensemble du monument, en même temps qu'elle
facilite l'écoulement des eaux et des corps flottants. La pierre et la brique sont disposées sous les voûtes,
de manière à simuler des caissons d'architecture. Dans l'élévation géométrale les voussoirs en pierres sont
extradossés sur les dessins d'une archivolte.
Au-dessus des arches règne une corniche à modillons, sur laquelle se prolonge un parrpet à hauteur d'appui.
La chaussée sur laquelle on circule ne repose pas immédiatement sur les voûtes des arches. Elle en est séparée par
un intervalle formé par des voûtes contiguës, qui s'entrecoupent et la supportent, en établissant une galerie
intérieure dans le pont, entre ses arches et la voie publique. Cette galerie, par laquelle on circule dans toute
la longueur de cet édifice, facilite les moyens d'en explorer l'état et de réparer les dégradations commises par
l'action des eaux et du temps. La longueur du pont entre les deux culées est de quatre cent quatre-vingt-six mètres
soixantehuit centimètres, et sa largeur entre les parapets est de quatorze mètres quatre-vingt-six centimètres.
Cette largeur forme celle de la voie publique, dont neuf mètres quatre-vingt-six centimètres sont pour la chaussée
du milieu et le restant pour les deux trottoirs, qui s'élèvent d'un mètre au-dessus de son tablier.
Il existe même, sous les trottoirs, une longue galerie continue, par laquelle on songeait, dans le temps, à faire arriver et
distribuer la ville en eaux, d’une très—bonne qualité, qui se trouvent sur les coteaux de la rive droite.
On a frappé à plusieurs reprises des médailles de différents modules en mémoire de la construction de ce
pont. La dernière, qui a été exécutée par Andrieux, célèbre graveur originaire de Bordeaux, représente d'un
côté la tête du roi Louis XVIII ; au revers est la nymphe de la Garonne, qui se repose près du pont, au centre duquel
s'élève une statue de Neptune. On lit en légende : Garumna primùm ad Burdigalam
subacta, et dans l'exergue : Ponte arcuum XVII imposito, MDCCCXXI.
Sur l’autre médaille se voit l'inscription suivante :
PONT DE BORDEAUX
DIX-SEPT ARCHES
LA DERNIÈRE ARCHE A ÉTÉ FERMÉE LE 25 AOUT 1821, JOUR DE SAINT—LOUIS,
EN PRÉSENCE DE M. LE COMTE DE TOURNON, PRÉFET DU DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE, LOUIS XVII RÉGNANT;
SON EXCELLENCE LE COMTE SIMÉON ÉTANT MINISTRE DE L’iNTÉRIEUR;
M. BECQUEY, CONSEILLER D’ÉTAT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES PONTS—ET-CHAUSSÉES ET DES MINES;
M. DESCHAMPS, INSPECTEUR DIVISIONNAIRE DES PONTS-ET-CHAUSSÉES DIRIGEANT LES TRAVAUX.
1er Décembre 1821.
Ces médailles, renfermées dans une boîte en plomb, ont été déposées dans la clef de la neuvième arche.
Le pont de Bordeaux est considéré comme un chef-d'œuvre en son genre, par rapport à sa grande portée,
à la solidité, et à l'élégance de sa construction, ainsi qu'à l'utilité dont il est non-seulement pour le
pays qu'il avoisine, mais encore pour la France entière. Son exécution a déterminé l'entreprise de
plusieurs autres ponts qui ont été successivement établis sur la Garonne, où l'on avait regardé
jusqu'alors leur construction comme inexécutable.